Le grand port

Le grand port :
Article publié dans Var-Matin le 21 octobre 2024
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Rappels et synthèse
Avec une lecture en diagonale de cet article certains pourraient penser que la responsabilité de Drogou serait engagée dans la tragique disparition de 1295 marins français à Mers El-Kébir - Algérie.
Le 22 juin 1940 (4 jours après l’appel du général De Gaulle) un armistice est signé entre le représentant du Troisième Reich allemand et celui du gouvernement français (Hitler-Pétain) ; le Narval de Drogou et ses hommes sont alors basés à Sousse, en Turquie. Drogou et une partie de son équipage refusent cet armistice et, en précurseurs, décident de rejoindre ceux qui veulent poursuivre la lutte contre l’Allemagne. En soirée du 24 juin le Narval appareille secrètement pour accoster dans la Dockyard Creek à La Valette - île de Malte, le 26 juin au matin. Malte est alors sous domination britannique.
Parallèlement, Winston Churchill (récemment nommé Premier Ministre du Royaume-Uni) exige, à plusieurs reprises, que les navires français poursuivent le combat près du Royaume-Uni, ou qu’ils soient désarmés, ou qu’ils soient transférés vers un port britannique ou vers la Martinique, voire les Etats-Unis ; ils ne doivent en aucun cas tomber aux mains de l’ennemi allemand, le sabordement n’est pas exclu. Mais l'amiral Darlan (future figure du régime de Vichy), alors à la tête d'une des marines de guerre les plus puissantes du monde, la Marine Nationale française, et peut-être un peu anglophobe, reste suspicieux vis-à vis des Britanniques à cause du traité naval germano-britannique de 1935*. Darlan fait fi des injonctions de Churchill et réfugie la flotte française en Afrique du Nord près d’Oran - Mers El-Kébir. Ce qui ne convient absolument pas aux anglais qui y voient le risque que la flotte française se retourne contre eux.
Dans cet article de Var-Matin, Max Guérout, 88 ans, honorable Vieux Loup de la Royale (CF) nous dévoile un secret d’état : celui que le 28 juin 1940, alors que son équipage était en inspection sur le quai, le Narval a également été "inspecté" ; ce, deux jours après son arrivée à Malte et six jours avant le drame de Mers El-Kébir. En effet, ce jour-là le bateau fut investi par les hommes de la Naval Intelligence Division (NID), le service d’espionnage de l’amirauté britannique qui, sous la contrainte à l’encontre de Drogou, extorquaient les codes secrets de la Marine Française détenus à bord du Narval. Les précieux documents sont immédiatement transférés en Angleterre, à Bletchley Park plus précisément, là même où l’équipe d’Alan Turing parviendra à briser le cryptage des messages allemands envoyés par l’encodeur Enigma. Ainsi, les Britanniques ont toute facilité à décoder les échanges secrets des Français, et peuvent connaître, en direct ou presque, leurs intentions réelles. Les codes secrets français ont donc bel et bien été extorqués par les anglais, pour ensuite être exploités à mauvais escient.
Les Britanniques craignant que les Allemands prennent à leur service les navires français stationnés à Mers El-Kébir et doutant fortement des intentions de Darlan déclenchaient, sur ordre de Churchill, l’opération Catapult le 3 juillet 1940 (4 jours durant) ; elle fit 1295 morts dans les rangs de la Marine Française.
On ne peut douter que Drogou ait rendu compte à sa hiérarchie de l’action du NID ; par contre, compte tenu de la situation chaotique de la France on peut se demander ce qui a été fait au sommet de la Marine … Il est imaginable que les codes furent changés, mais probablement trop tard (vol de documents le 28 juin - attaque le 3 juillet) … Le silence entretenu depuis 1940 et encore demandé à Max Guérout en 1985 était-il tant pour ne pas entacher l’image des héros du Narval, que pour taire ce vol de documents par nos alliés où une supposée responsabilité serait imputée à Drogou ?
François Drogou se trouve donc être un acteur bien involontaire de cette infâme attaque fratricide.
N’oublions pas qu’en ralliant l’appel du général De Gaulle ("Trahison sur toute la ligne, je rejoins un port anglais." avait déclaré François Drogou) l’équipage du Narval et leur commandant étaient reconnus déserteurs et considérés comme des traitres, ce, durant plusieurs années.
Le Narval, François Drogou et ses hommes, toujours empreints du patriotisme le plus pur, restent des héros de la France Libre, et nous imposent le plus grand respect.
Cette petite synthèse n’engage que son auteur : Jean-Gabriel Neveu
* - Le traité naval germano-britannique (Anglo-German Naval Agreement - AGNA) est un traité bilatéral signé le 18 juin 1935 par le Royaume-Uni et l’Allemagne qui autorise le Troisième Reich à disposer d'une flotte de guerre au tonnage limité de façon permanente à 35 % de celui de la Royal Navy. Il fait la part belle à la marine allemande, et reste une des causes de l'anglophobie de l'époque d'une bonne partie des chefs de la Marine Nationale française.
Retrouvez Drogou, ses hommes et leur Narval, ici :
- Les décorations du Narval - Joël Bodard
- Mon oncle du Narval - Daniel Chéry
- Scyllias - Ouest-France août 2011 - Jean-Louis Maurette
- Légion d’Honneur du 14 décembre 1960 - Presse-Info.Marine
Pour savoir ce qui s’est passé du 3 au 6 juillet 1940 à Mers El-Kébir, cliquez sur la photo.
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