De Gaulle répétait “l’Europe se fera par la défense”. Alfred Grosser a bien résumé la question du besoin de la défense européenne dans la construction européenne telle que vue par de Gaulle et vue par les autres dirigeants. Il écrivait en 1988 : “Car, si vous prenez le monde d’aujourd’hui, il n’est pas évident du tout que l’absence d’arme proprement nationale, diminue fantastiquement la puissance du Japon sur le plan international. Est-ce que le fait d’avoir besoin d’une des grandes puissances pour être protégé empêche d’être soi-même face à elle ? La réponse n’est pas évidente. Il semble qu’il y ait là un point d’articulation qui, en dehors de la question de la fusion, de la juxtaposition, est la place du militaire, de la défense, de la dimension militaire dans la constitution d’un ensemble. Si le général de Gaulle a raison, s’il y a nécessairement pour une communauté en création, l’élément de défense comme élément de cohésion et d’intérêt, il n’y a pas d’Europe possible dans la mesure où l’appui des Etats-Unis est indispensable face à l’URSS. Si ce n’est pas le cas, elle peut être possible.”Cette question (l’élément de défense est-il un élément nécessaire de cohésion et d’intérêt?), oubliée après l’effondrement de l’URSS et la globalisation économique qui en a suivi, reprend toute son actualité. L’Europe semble redécouvrir une certaine communauté et un besoin de défense dans ses “intérêts vitaux” après l’échec d’une coopération trop poussée dans le domaine de l’énergie, des matières premières et de la technologie avec la Russie ou la Chine. Il faut cependant garder présent à l’esprit l’absence d’unité de vue des pays de l’Union Européenne sur les armes nucléaires. Le spectre des pays de l’UE va de la neutralité constitutionnelle (Autriche) à la France, en passant par les pays accueillant les armes non-stratégiques de l’OTAN mais dont les opinions publiques étaient de plus en plus opposées aux armes nucléaires, sans oublier des pays signataires du Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires (Irlande, Malte, Autriche), Traité différent du Traité de Non-prolifération des armes nucléaires. Autre point, les différences de concept de recours à l’arme nucléaire entre OTAN et France. L’OTAN (et donc les pays européens accueillant les armes OTAN) reprend le concept américain de réponse graduée (y compris l’utilisation de nucléaire à des attaques conventionnelles, comme l’envisagent les Russes d’ailleurs), alors que la France s’en tient à la dissuasion (avec éventuellement du “pré-stratégique”). Sans parler de qui a “le bouton”. L’administration Biden ne s’est pas encore clairement exprimée sur le “no first use”, adopté par la France sans ambiguïté, comme la Chine d’ailleurs. L’ensemble des questions à aborder puis résoudre est donc très ouvert. Le fait est que la question fondamentale reste celle présentée en début de ce petit papier. Pour élément de réflexion, le Japon, devenu une force économique avec seulement une force d’auto-défense comme le souligne Grosser, va accroitre significativement son budget défense face aux menaces russes et chinoises croissantes, parfois conjointes, et nord-coréennes, sur un plan qui reste conventionnel sous parapluie américain, même si des tentations vers le nucléaires s’expriment de plus en plus, comme en Corée du Sud d’ailleurs.Pour résumer, de Gaulle savait tirer les leçons de l’Histoire, leçons dont les dernières trente années ont fait penser qu’on pouvait s’en affranchir, et avait une vision très claire de l’Europe, avec une intégration bien plus avancée que les autres dirigeants étaient prêts à accepter, voire même simplement penser. Qui pourrait reprendre un tel flambeau? Pour conclure, comme disait Lénine: “les faits sont têtus”, et comme disait Trotsky: “chaque état est fondé sur la force”